Breaking the dream
La musique a ceci d’incroyable qu’elle permet de se souvenir d’un moment précis dans notre vie rien qu’en entendant un son. C’est à la fois ce qui la rend universelle et unique. En entendant la même musique, chaque personne pensera à quelque chose de différent, et pourtant chacun se comprendra sans avoir besoin de mots ou d’explication.
Le morceau ci-dessus est un peu particulier pour moi.
Lorsque j’entends cette musique, je me replonge un jour précis.
Nous sommes en plein été, j’ai passé les dernières heures très mal, le coeur me relance et je tombe petit à petit dans le noir. Je me suis endormi dans la voiture, il conduit à côté de moi, la voiture file sur la route.
Une veste sur les genoux, la tête calée, avachi au fonds de mon siège, les médicaments m’ont fait sombrer dans un sommeil de brouillard alors que nous sommes en pleine journée. La musique joue au hasard de la playlist Lo-fi que j’ai créée sur mon spotify. Et puis j’émerge doucement, sur ces battements d’une musique que je ne connais pas.
J’ouvre les yeux et je vois devant moi ce ciel gris qui s’étend à perte de vue et ces nuages teintés d’un violet sombre qui défilent devant nous. C’est étonnant comme le ciel semble grand ici. Tout semble s’étirer dans les paysages de l’ouest américain, aussi bien la terre que le ciel. C’est l’une des choses que j’aime le plus là-bas, cette sensation d’être infime dans l’immensité de la nature.
Je me sens comme dans un rêve, c’est un peu irréel, la route défile à toute vitesse, elle aussi s’étire à l’horizon à perte de vue. La terre est ocre, la pierre rouge. Le contraste avec le noir du bitume est saisissant. Il ne fait pas si beau, et pourtant je sais que dehors il fait très chaud. Sur la route il n’y a presque personne, en tout cas c’est ce que je ressens, alors qu’en regardant à nouveau ces images je me rends bien compte qu’il y a des voitures qui passent. Mon état de semi-réveil à dû, sur le moment, oblitérer cette partie de la réalité.
A cet instant je n’ose plus bouger, de peur de gâcher ce moment, de peur de réveiller la douleur. J’ouvre grand les yeux, j’ai l’impression que le temps a été ralenti au-dehors et que nous, nous avançons en accéléré. Ce sentiment est peut-être accentué par le fait que les nuages avancent si vite, peut-être aussi par la fièvre, je ne sais pas trop.
J’ai cette impression étrange de fuir, fuir le plus vite possible. Je suis à dix mille kilomètres de chez moi mais ce n’est toujours pas assez loin. J’ai toujours eu cette envie de partir loin, très loin, mais cette fois-ci c’est différent, car j’ai quelque chose dont je veux m’extraire à tout prix. La voiture fonce dans l’inconnu, et je fuis la douleur, la maladie, la petite voix que je commence seulement à entendre depuis quelque temps et dont j’apprendrai plus tard la véritable nature.
Cette sensation m’est inconnue. Je suis dans un des endroits que j’aime le plus au monde, avec la personne la plus importante à mes yeux, et à cet instant je n’ai plus mal, j’oublie mes soucis, je suis au calme.
C’est rare que ma tête me laisse au calme, la plupart du temps je cogite sans même le vouloir, je subis plus que je demande toutes ces pensées. Mais là, perdu au milieu de l’Arizona, je suis au calme. Plus de son, plus d’images non désirées, plus rien hormis les battements de cette musique qui résonnent comme les battements de mon propre coeur et ce paysage magnifique qui défile à tout allure. Un bref instant, je me sens heureux, reposé, serein.
L’esprit humain à ceci de formidable que certains moments paraissent durer longtemps alors qu’ils sont en fait très courts. Et cette fois ce n’est pas la douleur qui me semble ne plus s’arrêter, mais ce vide nostalgique d’un passé plus innocent, cette quiétude assourdissante qui me serre.
En écrivant ces lignes, je me rends compte que cette musique dure 3 minutes 30, mais pour moi, ce moment de grâce onirique a duré une éternité. Je me laisse bercer par les doux mouvements de la voiture, les virages, le paysage qui défile à travers la vitre. Tout est ralenti autour de moi et j’aimerais que ça dure à jamais.
Durant ce même trajet, nous avions posé le téléphone sur le pare-brise pour filmer un peu. C’est quelque chose que j’aime faire, filmer des moments qui n’ont pas l’air d’avoir de sens pour beaucoup, mais qui en ont pour moi. La vidéo ci-dessus est un témoin probablement assez exact de ce à quoi ressemblait à ce moment le paysage. C’est curieux, on peut voir au début qu’il a plu sur la route, mais je ne m’en souviens pas. Avançant dans la vidéo il fait de plus en plus clair, un peu comme si le monde se réveillait lui-même d’une torpeur inexpliquée.
Breaking the dream… Le titre de cette musique que je n’avais jamais entendu résonne tout particulièrement avec la situation. Avec le recul, et en extrapolant un peu philosophiquement, je pourrais y attacher deux sens.
Comme je l’expliquais, ce moment, c’est comme si j’étais dans un rêve, et que rien ne pouvait venir le casser ou l’arrêter, un bref moment où je me sentais invincible.
D’un autre côté, je peux aussi y voir les efforts de la petite voix que j’apprendrais à connaître par la suite, qui essaye de me réveiller coûte que coûte, mais qui ne pourra rien faire pour se faire entendre avant que les battements ne se soient arrêtés, ceux de mon coeur, ceux de la musique.